Carnets de voyage
Décembre 2006 - janvier 2007 Candide, jeune ingénieur, fait de la résistance Prise de conscience par Jean Noël Contensou
Un soir où les trois colocataires un peu désœuvrés étaient réunis devant une série télé mettant en scène des amourettes et des conflits de pouvoir assez naïfs dans un milieu professionnel caricatural, le hasard des commentaires erratiques suscités par les images qui défilaient sous leurs yeux amena Candide à mettre son inquiétude sur le tapis, et à susciter l’intérêt au point qu’on finisse par éteindre le poste. Ni Henry ni Pierre n’avaient assisté à la conférence et il avoua, pour une fois sans trop de pudeur, le brouillard où il voyait son avenir noyé. Il fit état de son inquiétude sur la raison d’être de tous ces cours théoriques qu’ils devaient avaler. Eux-même avaient-ils idée de là où ils allaient ? Henry se révéla assez cynique en recommandant à Candide de sortir de sa coquille et de se faire des relations. Il dit sa vision du monde industriel : un théâtre où ceux qui restaient purement techniciens étaient les dupes. On trouvera toujours des gens capables d’imaginer et de faire aboutir des projets, le plus difficile étant de trouver des gens capables de les arrêter. Pas pour le plaisir de les arrêter, mais pour laisser la place à ceux qui rapportent de l’argent. Que fallait-il faire, quels produits, quelles études, quelles entreprises ? Ce n’était pas les ingénieurs béatement techniciens qui pouvaient en décider, c’était ceux qui pouvaient payer, les clients, et les investisseurs qui devinaient les marchés futurs. S’il voulait jouer un rôle dans le théâtre, il devait apprendre à manipuler tous ces gens ; à défaut de quoi c’est lui qui serait dupé. Mais avant tout, il fallait satisfaire une condition nécessaire, être sur la scène, Le jour de cette discussion, Candide avait déjà compris dans quel milieu évoluait la famille d’Henry, il n’avait pas de souci à se faire pour être pistonné dans la vie. Pour ne pas envenimer la discussion, il ne lui fit pas remarquer qu’il conseillait aux autres de travailler à obtenir ce qu’il avait obtenu lui-même en naissant, mais il l’attaqua sur sa cohérence. Pourquoi se fatiguait-il à suivre tous ces cours théoriques, ce n’était pas ça qui lui tissait des relations ! A cela Henry répondit que la nature des cours était sans importance, ils n’étaient qu’un sésame pour entrer dans la mafia des anciens élèves, une méthode de tri comme une autre. S’il avait fallu être trié en jouant de la guitare, il aurait appris la guitare, s’il avait fallu être trié en marchant sur les mains, il aurait marché sur les mains. Ceci dit, il était quand même content d’être trié par les maths, parce que quand on est bon en maths, c’est qu’on est intelligent. Et là tout d’un coup, Pierre se réveilla. « Ah bon ! Tu es intelligent ? Je commençais à en douter. » Et Pierre révéla une personnalité profonde et insoupçonnée. Il reprocha à Henry de n’avoir qu’une intelligence de gymnaste ; il jonglait avec les calculs, il y prenait le même genre de plaisir qu’aux jeux d’esprit, ce genre de plaisir où l’on brille en public, qu’on abandonne dès que les regards se détournent. Mais dans quel camp aurait-il brillé s’il avait vécu à l’époque où science et obscurantisme s’affrontaient, quand s’élaboraient les grandes réponses données par les Galilée, Pascal, Descartes, Newton, Lavoisier, Maxwell, Darwin et tous les autres, et où il fallait transformer profondément les esprits ? Jean Noël Contensou Candide, jeune ingénieur, fait de la résistance Editions Publibook, Paris 2005 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Extrait n°15 Copyright Jean Noël
Contensou 2005
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